— Sarah, combien font 7 + 5 ? demande la maîtresse.
Instantanément, tous les regards se tournent vers Sarah.
Les élèves la fixent, fascinés comme à chaque fois. Le silence s’installe, et Sarah, sans se précipiter, réfléchit.
— 12, répond-elle calmement.
La maîtresse reste figée. Ce n’est pas la réponse qui l’étonne, elle savait déjà que c’était juste.
Ce qui la stupéfait, c’est que Sarah n’a pas de bras.
Pourtant, à chaque question, elle répond toujours avec précision, comme si elle comptait sur des doigts invisibles. Sarah pose ses mains inexistantes sur la table et, dans son esprit, elle voit chaque doigt se lever.
Un, deux, trois… Comment fait-elle ? Sarah ne s’interroge pas. Pour elle, c’est naturel. Elle “voit” ses doigts, et son cerveau suit.
Nous sommes en 1964.
Ce phénomène, que la science appellera plus tard gnosie digitale, prouve une chose : nos doigts sont bien plus qu’un outil pratique, ils sont essentiels à notre compréhension des nombres.
Et pourtant, aujourd’hui, en 2024, 60 plus tard, on entend encore dans les salles de classe :
“Pas avec les doigts !”
Comme si ce qui fonctionne pour Sarah — et tant d’autres enfants — était un signe de faiblesse.
L’histoire de Sarah nous enseigne une vérité simple :
Nos doigts, qu’on les voie ou non, sont profondément liés à notre façon de compter. Ils ne sont pas juste là pour manipuler des objets, ils sont les premiers guides vers la maîtrise des chiffres.
Alors, pourquoi voudrait-on empêcher les enfants de les utiliser ?
Pourquoi devriez-vous vous intéresser à ce sujet ?
J’ai 7 ou 8 ans, la maîtresse me demande : “Combien font 8 + 9 ?”
Je baisse les yeux.
Assise à ma place, je connais la réponse, mais pas tout de suite.
Sous ma table, mes doigts bougent. Je compte : un, deux, trois…
Et dans ma tête, je “vois” les chiffres défiler sur mes mains.
17. Je souris, c’est juste !
Mais la maîtresse fronce les sourcils et me lance : “Pas avec les doigts !”
Je ne comprends pas. Pourquoi m’interdit-elle d’utiliser mes doigts alors qu’ils m’aident à trouver la réponse ?
Ce que j’ai appris plus tard :
Quand on empêche un enfant comme moi d’utiliser ses doigts :
- On freine sa compréhension des mathématiques. Par exemple, sans mes doigts, “8+9” reste un mélange de chiffres que je n’arrive pas à assembler facilement.
- On rend les maths frustrantes et décourageantes. Si je dois compter “dans ma tête”, je finis par croire que je ne suis pas bonne en maths car “trop concrète”, “pas assez abstraite”.
Le pire ?
- J’aurais pu prendre du retard dans mes calculs mentaux. Comment avancer sur des exercices plus complexes si je ne peux pas m’appuyer sur ce que je sais déjà ?
- Et pire encore, j’aurais pu commencer à détester les maths, les trouvant “trop dures” ou “pas faites pour moi”.
Ce que les experts disent :
Des études ont montré que :
- Les enfants qui utilisent leurs doigts pour compter apprennent mieux. Par exemple, pour “4 + 3”, visualiser quatre doigts d’une main et trois de l’autre permet de comprendre le résultat plus rapidement.
- Cette pratique active des zones du cerveau liées à la motricité (mouvements) et aux chiffres (abstrait) (travail de recherche de l’université de Chicago). C’est comme si nos doigts devenaient un pont entre le concret et l’abstrait. En clair, c’est une méthode naturelle qui rend les maths plus faciles à comprendre.
Et Maria Montessori l’avait déjà compris :
La pédagogue a montré que manipuler ses doigts aide à intégrer les mathématiques. Elle a même créé des outils pour prolonger cette pratique, appelée la motricité fine, comme des perles et des objets à toucher.
En résumé :
Quand j’utilisais mes doigts pour compter, je trouvais cela naturel. Mais on m’a appris à en avoir honte.
Aujourd’hui, je sais que c’était une erreur.
En bref, compter sur ses doigts, c’est poser les bases d’une pensée mathématique solide et durable.
En fait, encourager un enfant à compter sur ses doigts, c’est lui donner un outil précieux pour réussir.
Au lieu de dire “Pas avec les doigts !”, essayez de dire : “Montre-moi avec tes mains comment tu vois le résultat.”
Que se passe-t-il vraiment dans le cerveau ?
Le lien doigts et cerveau
Nos doigts ne sont pas seulement des outils pour saisir des objets.
Ils sont profondément connectés à notre cerveau et jouent un rôle clé dans l’apprentissage des mathématiques.
Ce lien repose sur ce qu’on appelle la “gnosie digitale”, qui est la capacité de notre cerveau à percevoir et à “sentir” nos doigts, même sans les utiliser physiquement. Cette capacité de visualiser nos doigts aide à comprendre les nombres de façon plus intuitive.
Pourquoi c’est crucial:
Pendant longtemps, l’école tolérait l’usage des doigts pour apprendre les bases du calcul, même si elle n’était pas officiellement valorisée ni intégrée dans le cadre pédagogique national.
Pourtant, aujourd’hui, on leur demande d’arrêter, trop tôt.
Alors que la science nous montre qu’utiliser les doigts est naturel et bénéfique, l’école insiste sur l’abstraction, déconnectant les enfants de leurs propres capacités naturelles.
Pourquoi est-ce important ?
Les neurosciences ont montré que cette perception mentale des doigts est directement liée à nos compétences en mathématiques.
Car de récentes recherches révèlent l’importance de la “zone somatosensorielle des doigts”, une région du cerveau dédiée à la représentation des doigts.
Cette zone reste active même lorsque les doigts ne sont pas physiquement utilisés, notamment lors de la résolution de problèmes mathématiques complexes chez les enfants de 8 à 13 ans.
Ces études prouvent que les enfants qui ont une meilleure gnosie digitale — c’est-à-dire ceux qui perçoivent mieux leurs doigts — réussissent mieux en mathématiques.
En particulier, les enfants de 6 ans qui ont une bonne représentation de leurs doigts obtiennent de meilleurs résultats en arithmétique, notamment pour des tâches comme le comptage et l’ordre numérique.
Tout cela s’explique par le fait que les zones du cerveau qui contrôlent les mouvements des doigts sont aussi activées pendant les tâches mathématiques (cliquez ici vers l’étude).
Comment encourager les enfants à utiliser cette méthode efficacement ?
Étape 1 : Encourager l’utilisation des doigts
Expliquez à votre que compter avec les doigts est une méthode naturelle et efficace pour les opérations simples.
Loin d’être un signe de faiblesse, c’est un outil précieux pour comprendre les nombres.
Alors, encouragez-le à utiliser leurs doigts pour additionner et soustraire, en lui précisant qu’il n’aura plus besoin de cette aide lorsqu’il maîtrisera bien les concepts.
Ce processus lui permet de créer un lien concret avec les mathématiques avant de passer à des méthodes plus abstraites.
Étape 2 : Renforcer avec des jeux
Transformez cet apprentissage en un jeu pour le rendre plus ludique et engageant.
Par exemple, jouez à deviner quels doigts ont été touchés sans que l’enfant les voie. Cachez ses mains derrière son dos, touchez quelques doigts, puis demandez-lui de les identifier.
Cet exercice renforce sa capacité à visualiser ses doigts et à associer les nombres à une représentation mentale.
Cela développe ce qu’on appelle la gnosie digitale, un facteur clé pour améliorer ses compétences mathématiques.
Étape 3 : Créer une routine quotidienne
Mettez en place une petite routine quotidienne,“la routine des doigts”. Pendant quelques minutes, demandez à l’enfant de résoudre des petits calculs en utilisant ses doigts.
Par exemple, donnez-lui des additions comme 2 + 3 ou 4 – 1 et encouragez-le à compter sur ses doigts.
Cette pratique quotidienne aide à solidifier le lien entre les concepts mathématiques et la perception tactile.
Progressivement, cela facilitera la transition vers des calculs plus abstraits.
Mettez cela en pratique dès aujourd’hui !
Voici deux exercices simples que vous pouvez réaliser avec votre enfant ou vos élèves pour renforcer leur apprentissage des mathématiques grâce à l’utilisation des doigts.
Deux exercices pratiques pour parents et enseignants :
1 – Test des doigts cachés :
Ce test permet de mesurer la capacité de l’enfant à percevoir mentalement ses doigts, ce qu’on appelle la gnosie digitale.
- Étape 1 : Demandez à l’enfant de cacher ses mains derrière son dos ou sous une table.
- Étape 2 : Touchez un ou plusieurs de ses doigts sans qu’il puisse les voir.
- Étape 3 : Demandez-lui de nommer ou de montrer quels doigts ont été touchés.
Cet exercice renforce sa représentation mentale des doigts, un outil clé dans le développement des compétences mathématiques. Reproduisez régulièrement cet exercice pour stimuler cette capacité.
2 – Mini-challenge de calculs :
L’objectif de cet exercice est de faire comprendre à l’enfant que l’utilisation des doigts est une stratégie transitoire mais efficace pour ancrer les concepts mathématiques.
- Étape 1 : Proposez de petits calculs simples (par exemple, 2 + 3 ou 4 – 1) et demandez à l’enfant de les résoudre en utilisant ses doigts.
- Étape 2 : Une fois qu’il maîtrise bien le calcul avec ses doigts, proposez les mêmes calculs sans les doigts pour tester sa mémorisation et le guider vers une représentation plus abstraite.
L’idée est de transformer progressivement l’usage des doigts en une visualisation mentale, créant ainsi un pont entre le concret et l’abstraction mathématique.
Réflexion finale :
Quand vous verrez l’enfant s’épanouir avec cette méthode, vous comprendrez que compter sur ses doigts n’est pas un obstacle, mais un tremplin vers une compréhension plus solide des mathématiques.
Il n’y a pas de précipitation à avoir pour abandonner cette méthode naturelle, car c’est elle qui prépare l’enfant à développer une pensée abstraite par la suite.
Conclusion : Vos enfants comptent avec les doigts ? Laissez-les !
En effet, utiliser les doigts pour compter est une méthode naturelle et efficace, en particulier pour les jeunes enfants.
Les études montrent que cette pratique est essentielle entre 5 et 8 ans, une période où l’enfant apprend à lier les nombres à des représentations concrètes comme ses doigts.
En interdisant leur usage trop tôt, nous risquons de priver les enfants d’une base essentielle pour leur apprentissage des mathématiques.
Bien sûr, à mesure que les enfants grandissent et maîtrisent les concepts, ils doivent progressivement se détacher de cette méthode pour renforcer leur capacité de calcul mental.
Vers 8 à 10 ans, les enfants commencent à se détacher naturellement de l’utilisation des doigts pour compter, au fur et à mesure qu’ils maîtrisent mieux les calculs mentaux. Mais cela doit se faire naturellement, sans précipitation, à mesure qu’ils deviennent plus à l’aise avec les nombres.
Alors encouragez votre enfant à utiliser ses doigts tant qu’il en a besoin.
Laissez-le construire cette base solide.
En l’accompagnant doucement vers des méthodes plus abstraites, vous favoriserez son succès à long terme en mathématiques.
Et vous verrez, ses progrès vous surprendront !
Sources
Why kids should use their fingers in math class – Jo Boaler
J’ai lu attentivement votre article et vous félicite pour ce beau partage. Je regrette seulement que vous n’avez pas établi une distinction nette entre compter et calculer avec les doigts (trop d’enfants sortent du fondamental sans savoir calculer). Or, les doigts peuvent servir à compter et à calculer, à additionner et à multiplier, à modéliser des problèmes et à les résoudre… Je le montre dans mon « Initiation aux mathématiques par le bon usage des doigts ». Celles et ceux qui appliquent la méthode qui y est exposée sont enthousiastes. Sur les réseaux sociaux, on peut lire, entre autres, « Mes élèves de 1ère année calculent avec une facilité déconcertante… et tous y arrivent ! Grâce à votre méthode, j’ai moi-même l’impression de mieux savoir où je vais… » ou encore « Cette méthode est vraiment bluffante et je la conseille vivement !!! Je n’ai jamais eu des élèves qui calculent aussi bien… »… Je consacre également un site/blog à cette méthode.
Merci Ewald! C’est toujours un plaisr d’avoir des retours constructifs de votre part. J’ai hâte de partager prochainement votre approche car elle pourracertainement aider de nombreaux parents et d’éducateurs à soutenir les enfants en arithmétique.
Merci pour remettre des choses simple à l’ordre du jour. Je trouve comme toi que c’est bien d’utilisé ses mains ou des boules, des cailloux,…. pour apprendre à lire au enfants. Honnêtement, il m’arrive encore de le faire moi-même.
C’est pareil pour moi Fabienne 🙂
Merci pour tes retours d’expérience
Je pense que tu as tapé dans le mille lorsque tu dis que priver un enfant de ses mains pour compter et calculer peut engendrer une aversion envers les maths ! C’est ce qui s’est un peu produit pour moi.
Et aujourd’hui que ma fille a 5 ans, j’aimerais vraiment lui donner de bonnes bases pour qu’elle ne soit pas fâchée avec cette matière si importante.
Je l’encourage à compter avec ses doigts mais elle-même refuse 🙁
super maman ! Bravo de te servir de ton expérience pour encourager ta fille à d’autres possibilités. Le principal c’est qu’elle sache qu’il n’y a aucune restriction de ta part