A la fin des années 70, malgré un taux d’alphabétisation très bas (moins de 60%), la République de Singapour a le projet fou de faire de son pays un leader dans le monde technologique.
Pour y parvenir, l’enseignement des sciences et des mathématiques devient une priorité nationale. Le Ministre de l’Education de l’époque Dr Goh Ken Swee monte alors une équipe d’experts menée par le Dr Kho et les charge de mettre en place de nouveaux programmes scolaires qui seraient la parfaite synthèse des pédagogies mathématiques à succès en Occident : de la didactique aux sciences cognitives.
Cinq ans plus tard, ils rendent leur copie : « la méthode de Singapour » est née. Rien de nouveau sur le soleil me diriez-vous car elle combine plusieurs concepts connus empruntés à plusieurs pédagogues tels que Maria Montessori, Gérard Vergnaud, Lev Vygotsky ou Jérôme Bruner.
Cependant, comme dans toute bonne recette de cuisine, même si les ingrédients de la méthode de Singapour sont connus, c’est le dosage qui fait la différence. Il faudra d’ailleurs 15 ans pour ajuster et en tirer la version la plus performante.
En 1995, Singapour arrive en tête du classement des meilleures nations en enseignement en Mathématiques et devient alors un modèle pour plus de 60 pays.
La Méthode de Singapour :
En 35 ans d’existence, cette pédagogie qui fait des Mathématiques un outil très performant pour la résolution de problèmes permet d’acquérir le raisonnement scientifique : elles sont le sens de l’abstraction de la réalité.
Concrètement, la méthode de Singapour couvre le projet scolaire allant du CP à la 6ème (de l’école primaire au collège) et met en pratique les 7 principes pédagogiques :
- L’approche « concret-image-abstrait»
- Les représentations multiples des nombres entiers
- La pédagogie explicite
- La progression massée et cyclique
- La pédagogie de la maîtrise
- La résolution de problèmes
- La pédagogie par la preuve
1- L’approche « concret-image-abstrait »
Avec la pédagogie Montessori, il ne peut y avoir d’apprentissage sans utilisation des sens, de la manipulation et du mouvement ; car l’enfant passe ainsi du concret vers l’abstrait, du sensoriel vers l’abstraction, de la main à la pensée. Cliquez ici pour lire notre article.
D’ailleurs, les théories de psychologue de l’éducation développées par Jerome Bruner rejoignent ces conclusions montessoriennes. Elles ont été choisies pour guider une grande partie de cette nouvelle approche de l’enseignement des mathématiques à Singapour. En effet, Jerome Bruner suggère que les élèves apprennent mieux les mathématiques en commençant par des objets concrets et, lorsqu’ils sont prêts, parviennent à une compréhension abstraite grâce à des représentations visuelles.
De ces théories et observations pédagogiques, la méthode de Singapour a construit et développé l’approche « concrète-imagée-abstraite ».
2- Les représentations multiples des nombres entiers
L’objectif est de « donner du sens aux nombres ».
Lorsque le professeur enseigne une notion mathématique à un élève, ce dernier va naturellement tenter de l’apprivoiser en l’appliquant à plusieurs reprises.
Mais va-t-il cependant en comprendre le sens ?
C’est pourquoi, très tôt, dès le CP, la méthode de Singapour va encourager et mettre en place des représentations multiples d’une même notion pour que l’enfant ne soit plus bloqué dans une mécanique de résolution mais assimile le sens des nombres et des opérations (additions, soustractions, multiplications ou même fractions)qui lient les nombres entre eux.
De classe en classe, on utilise différentes représentations adaptées au niveau scolaire de l’enfant.
3- La pédagogie explicite
Cette pédagogie a été développée par le professeur et chercheur en psychologie cognitive Barak Rosenshine dont vous trouverez l’article qui lui est consacré en cliquant ici
« Pas de solution sans verbalisation! » Il s’agit de dire tout haut ce qu’on a dans la tête, de décrire avec des mots le cheminement de sa pensée.
L’enseignant lui-même exprime sa pensée à voix haute afin de montrer comment on réfléchit face à cette nouvelle notion.
Ainsi, le maître montre l’exemple afin d’encourager ses élèves à être très bavards quand il est question de résoudre des problèmes.
Pour enseigner un concept mathématique, le professeur suit le plan de leçon (idéal) suivant :
- Mise en situation (5 min) : Il annonce l’objectif précis de la leçon (exemple : « on va apprendre à compter jusqu’à 100 avec des cubes »
- Modelage (10 min) : L’enseignant réalise devant les élèves l’action à enseigner en déroulant à voix haute le cheminement de sa pensée.
- Pratique guidée (25 min) : Les enfants font à leur tour l’opération, guidée par l’enseignant.
- Pratique autonome (15 min) : Les enfants répètent l’action seuls.
- Objectivation (5 min) : Le professeur récapitule la leçon apprise.
Visiblement, la pédagogie de Singapour se situe entre la méthode traditionnelle qui insiste sur la répétition d’exercices à la chaîne et la méthode cognitive alternative qui encourage un apprentissage autonome de l’enfant par la découverte.
De plus, elle favorise la métacognition, i.e. la capacité à l’élève d’aborder un problème/une situation tout en étant conscient de son propre processus de pensée, d’apprentissage.
4- La progression massée et cyclique
La progression de l’apprentissage se veut adaptée : ni trop difficile, ni trop facile.
Il s’agit d’une planification des objectifs didactiques par laquelle on cherche à ne pas charger cognitivement les enfants.
Dans ce but, chaque cours de mathématiques contient 90% de notions maîtrisées et 10% nouvelles.
C’est ainsi que le professeur de mathématiques va installer chez les élèves un « frisson cognitif », c’est-à-dire le plaisir d’apprendre et de travailler chaque jour.
Et les notions apprises seront revues tout au long de l’année à travers d’autres notions, dans d’autres contextes et situations:
C’est l’approche spiralaire préconisée par le psychologue et pédagogue Jérôme Bruner, «une même matière est abordée à différents moments de la scolarité, ce qui permet de l’éclairer et de l’approfondir de façon différente à chaque reprise, en fonction de l’état de développement et de motivation des élèves ».
5- La pédagogie de la maîtrise
Peu de notion mais elles sont enseignées en profondeur jusqu’à ce qu’elles soient complétement maîtrisées.
Le concept de cette stratégie pédagogique a été emprunté au psychologue américain Benjamin Bloom pour qui :
On utilise donc les notions sur un temps long.
6- La résolution de problèmes
Avec les Mathématiques, on veut enseigner le raisonnement scientifique et la résolution de problèmes/recherche de solutions.
Pour cela la méthode de Singapour valorise les 4 concepts suivants:
- La ritualisation
La méthode de Singapour ritualise la résolution de problèmes
- La valorisation des stratégies multiples
Si résoudre des problèmes “à voix haute” est essentiel, trouver plusieurs solutions ou cheminements à un problème est indispensable pour améliorer la confiance en soi et la créativité.
- La valorisation de l’effort et des erreurs
Il est normal de passer du temps à réfléchir à un problème donné, à tester une solution possible, échouer et tester encore jusqu’à y parvenir.
S’autoriser à commettre des erreurs est fortement encourager.
- Le modèle en barres
Avec cet outil , pas besoin de poser des équations avec des inconnues.
Si on considère que la méthode d’enseignement “Concret-Image-Abstrait” (cf. chapitre 1) est un des fondements de la méthode de Singapour, alors le modèle en barres est l’un des ponts que le Dr Kho et son équipe ont construit pour que les élèves atteignent des niveaux élevés d’apprentissage des mathématiques.
Cet outil a été exploité et étendu par le Mathématicien et psychologue Gérard Vergnaud pour gérer résoudre des probèmes de didactique mathématique plus complexe.
7- La pédagogie par la preuve
Sans doute l’un des concepts les plus cruciaux de la méthode de Singapour :
Tout comme de nombreux pédagogues tels que Maria Montessori, Célestin Freinet ou Antoine de la Garanderie l’ont montré, l’intelligence et le concret vont de pair.
Beaucoup de bons élèves dans leurs jeunes années apprennent et appliquent consciencieusement des concepts de maths pour réaliser, dans les classes supérieures, qu’ils n’en comprennent pas le sens.
Pour la méthode de Singapour, le sens c’est le réel.
C’est pourquoi elle prend garde à ce que les élèves (jusqu’à la 6ème) reviennent toujours à la visualisation pour toute résolution de problème (même abstrait).
Si un enfant est bon dans l’abstraction, on lui demandera TOUJOURS de le prouver concrètement.
L’objectif est de prouver que la théorie est juste, que le résultat est bon, concrètement.
La Pédagogie de Singapour et les Mathématiques en pratique
Vous pouvez retrouver une description complète de méthode de Singapour officielle en français et en anglais dans les liens ci-dessous:
https://www.singaporemath.com/
https://www.methodedesingapour.com/
Sources
https://www.singaporemath.com/
https://www.methodedesingapour.com/
C’est article fait partie de mon défi 30 jours ; retrouvez-en la description via le lien suivant https://la-baguette-math-et-magique.com/mon-defi-30-jour…nir-bon-en-maths/
Si vous avez apprécié ou souhaitez me poser une question ou faire un commentaire, je serai ravie de vous répondre 😀
Merci pour votre article, qui permet de jeter un premier regard sur la méthode de Singapour qui est effectivement un mélange de ce qui fonctionne ailleurs.
Je rajouterai que l’environnement et que les pédagogues y sont beaucoup sur le succès de cette méthode, de plus il faut relativiser sur le score obtenu dans le classement mentionné au début de l’article. Car il y a beaucoup de facteurs qui rendent invalide ce classement.
Super article, merci ! Mon fils est en instruction en famille et justement, je commence à m’intéresser à cette méthode. Nous utilisons beaucoup le matériel Montessori jusqu’à maintenant et la méthode de Singapour me parait idéale pour passer du concret à l’abstrait !
Merci Chloé pour ces retours ! En effet, la méthode de Singapour et son approche concret-image-abstrait s’inspire de nombreuses pédagogies dont celle de Maria Montessori et la motricité fine
Je suis donc ravie que cet article t’ait apporté des éclaircissements et une nouvelle expérience pour l’avenir 🙂
Article très intéressant et détaillé.
Je vais revenir sur cet article pour en apprendre d’avantages, via tous les liens proposés, qui semblent tout autant intéressant.
Merci pour toutes ces explications et partages.
Super ! Au plaisir de lire ton retour d’expérience Marie
Merci pour cette article ! Je connaissais pas du tout cette méthode ça me donne envie d’essayer avec mes enfants qui ont 7 et 3 ans ! Un conseil pour commencer par une activité en particulier ?
Christelle
Ravie Christelle que cette méthode t’inspire et merci pour tes retours ! on apprend mieux quand on manipule donc commencer par l’approche concert-image-abstrait me semble indispensable. En France, la méthode de Singapour a été popularisée en France par Jean Nemo et sa liste d’ouvrages “la librairie des écoles” notamment la série “La Méthode de Singapour pour la maison” dès 3 ans qui donne plein de pistes simples pour les parents.